Après une série de travaux utilisant la forme biographique et qui tentent de distiller des histoires issues des journaux suédois (où les gens expriment leurs déceptions et complaintes au sujet des injustices commises contre eux), j’ai voulu faire une série
de portraits qui prendraient comme point de départ la question banale : Who is – Qui est…? Une question qui peut aussi être posée ainsi : Que peut-on dire au sujet d’une personne ?
J’ai commencé à utiliser une sorte de technique d’observation mnémonique à chaque fois que je rencontre des gens pour une certaine période de temps, le plus souvent en voyage. Après
avoir passé un moment avec une personne, j’écris de courtes phrases sous forme d’énoncés. Les textes qui en résultent sont un mélange de narration et d’information (bien que la différence entre les deux soit quelquefois
mince). Le particulier y côtoie le général. L’idée est de tenir à certains détails et ensuite de les laisser se répéter, prendre plus de place.
Biographies,
VN Gallery. Zagreb, Croatie 1999.
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Ventspils
Transit Terminal, Bibliothèque de Ventspils,
Latvia 1999
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Les gens que j’ai connus à travers ce projet ont eu l’habileté d’articuler des histoires de façon à ce que chaque détail devienne intéressant. En écrivant
ces fragments, je ne m’intéresse pas à leur valeur représentative comme notes biographies; les énoncés ont leur propre logique indépendante. C’est comme si les mots étaient faits pour s’intégrer dans un sytème
d’information et de présentation. L’addition des fragments forme des thèmes qui se juxtaposent et se répètent. Ces textes offrent un motif consistant ou encore une signature thématique que quiconque peut adopter. Je souhaite notamment que cet
aspect puisse être mis en évidence dans une version web de Who is…?
J’ai présenté ces textes sous forme d’installation pendant plusieurs années. J’ai utilisé des lecteurs de microfiches, des panneaux, des bannières, et aussi, des «meubles de lecture».
Je suis revenu ensuite aux protagonistes des histoires, en leur demandant d’interpréter, de jouer leurs propres phrases. Le projet a donc évolué sous forme de films. Pour recréer et
illuster les fragments, nous avons dû accomplir des actions spécifiques, comme voyager pour retrouver certaines personnes évoquées dans les textes. De cette façon, les mots et les événements passés — certains plus importants que
d'autres— acquièrent une autre substance, ils se concrétisent, ils deviennent des artéfacts, des figures. J'imagine qu’en dépit, ou plutôt, que grâcecette simplicité, les mots atteindront les préoccupations des gens et se
logeront dans leur conscience de la même manière qu’ils l’ont fait dans la mienne.
Nous pourrions dire que chaque rencontre avec une autre personne
contient le potentiel pour écrire une histoire que quiconque
peut faire sienne, se l’approprier comme «son histoire»,
et à la fois l’interpréter et la déformer.
Dans cette approche de la sociabilité et du désir
de communiquer se trouve une invitation implicite à prendre
le contrôle des histoires des autres. Toute personne qui a
passé beaucoup de temps à se mêler aux autres
«fera partie» des autres. Ce gain social contient des
éléments de perte de l’ego (par exemple, dans
le cas des films, les protagonistes sont menacés par une
double perte de l’ego, dans le sens qu’ils se miment
eux-mêmes tout en donnant aux autres leurs histoires personnelles
de vie). Rien de cela ne pourrait être mené à
terme sans contenir au moins une des caractéristiques suivantes:
1) un sentiment de compréhension mutuelle; 2) une croyance
que la perte n’est pas menaçante; 3) le désir
d’être vu; 4) une attitude insouciante; 5) l’amitié.
Il y a ici une aliénation qui est valable et qui doit être différenciée de la haine, de la révulsion, de la suspicion envers l’étranger. Elle est valable dans la mesure où elle clarifie les différences et le manque de compréhension.
On pourrait parler de réfraction sociale qui libère les idées, esthétiques, systèmes, pensées et habitudes. Les caractéristiques de cette aliénation première (qui établit une zone d’écoute et d’attention)
sont diluées par une familiarité croissante, et subséquemment, elles disparaissent. Dans cette aliénation réside un sens vague de représentation qui pourrait aussi être exprimé comme un sens diffus d’ethnicité. Bien que ce mot
manque de définition claire et simple, je n’en vois pas d’autre qui relie les gens à leurs origines, à leurs sphères culturelles, et donc à leurs pays. La personne, pas encore entièrement engagée dans l’amitié, représente
d’une certaine façon une plus large communauté — une nation, une langue, et possiblement une religion. (Cette personne peut bien sûr vaguement représenter des caractéristiques non-ethniques comme un intérêt ou une passion partagés,
une apparence, une maladie, une profession, ou encore une idéologie). Il y a ici une unidimensionnalité, qui est le plus intéressante quand elle est sur le point d'être effacée.
La voix de la narration dans les films Who is…? appartient à une petite fille de 10 ans avec une expérience suucinte de la vie : elle manque d’expérience. Elle lit à sa façon les phrases, des fois en doutant, et d’autres fois, avec
un engagement inspiré et soudain.
La chose la plus importante est la transformation et le dépassement de soi. Ces biographies sont toutes occupées par quelqu’un d’autre. Les films ont été portés plus loin par mon histoire. Mais la voix apporte un touche non familière, même
pour moi.
As
if You Mean What You Say!, Ambassade de Suède,
Tokyo, Japon 2001. |
Reshape!.
disposé par IASPIS, Biennale de Venise, Italie 2003. |
As
if You Mean What You Say!, Galerie Enkehuset, Stockholm,
Suède 1999. |
Who
is Johnnie Walker?,
Galerie Roger Bjorkholmen, Stockholm, Suède 1999. |
Artiste conceptuel et écrivain, Magnus Bärtås
s'exprime dans les champs de la photographie, de la vidéo,
du texte, du dessin et de l'objet. Sa méthode de travail
est basée sur les voyages, la rencontre, la socialisation
et la conversation. Il s'intéresse aux procédés
narratifs, à l'architecture marginale et à l'attitude
du collectionneur. Il s'attarde particulièrement à
la relation entre le particulier et le général,
à travers ses dualités possibles : fiction/information,
personnel/politique, rare/commun, etc.
Son
travail a été présenté
dans plusieurs musées suédois d'art contemporain,
tels Moderna Museet, Stockholm et Norrkopings Konstmuseum.
Le projet Who is...? a été quant à
lui présenté dans des musées, galeries
et bibliothèeques en Europe et au Japon. Avec le musicien
et écrivain Fredik Ekman,
Magnus Bärtås
a publié, en 2001, une collection d'essais Orienterarsjukan
och andra berättelser (The Disease of the Orienteerer
and other stories). Il a participé, en 2004, au programme
«Les nouveaux commanditaires», financé
par la Fondation de France et Konstfack, avec la création
d'une installation visuelle et audio permanente, dans un espace
public de Stockholm. Bärtås
poursuit actuellement un programme de doctorat en création
à l'université Gothenburg (Suède). Il
vit à Stockholm.
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