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LA VITRINE ÉLECTRONIQUE DE L'AGENCE TOPO, Les bibliothèques et les salles de cours ne peuvent que tirer bénéfice de la mémoire dense et de la portabilité du cédérom
DES UVRES CHOISIES On peut observer dans la sélection actuelle de la Vitrine quelques tendances et recoupements. Plusieurs uvres, par exemple, revisitent avec ingéniosité divers genres littéraires. Du côté de la poésie, Haijin (zero_degré, Canada, 2000) propose un accès aux haïkus japonais à travers une interface inspirée dun de leur grand thème, le fruit tombant de larbre. La poésie prend forme d'un journal intime et sallie à la vidéo dans Mordre/Parenthèse (Yannick B. Gélinas, Canada, 2000). Elle devient création orale et sonore dans Shock in the ear (Norie Neumark, Australie, 1998) et se déploie sous forme de chants sacrés et incantatoires dans La cathédrale aveugle (Ollivier Dyens, Canada, 2001). Liquidation (Michel Lefebvre et Eva Quintas, Canada, 2001) joue des entremêlements narratifs possibles du polar et du photo-roman en donnant accès aux fragments du récit de manière aléatoire. On sent dans Pause (François Coulon, France, 2002) linfluence de la bande dessinée et celui du conte mythologique dans Voyage avec lange (Tamara Laï, Belgique, 1999) et Scrutiny in the Great Round (Jim Gasperini, États-Unis, 1995). Le récit devenant fiction en territoire exotique nous transporte à travers une Mongolie imaginaire dans La Suite Mongole (D. Kimm, Canada, 2001), tandis que Mauve désert (Adriene Jenick, Canada/États-Unis, 1997) et Quatre saisons picaresques (Camille Lavoie, Canada, 2002) sélaborent sur le mode du journal de voyage et du roadmovie. Les fictions interactives du Labyrinth Project, Bleeding Through et Tracing the Decay of Fiction (Rosemary Comella et cie, 2003, 2002) nous transportent quant à eux dans la ville de Los Angeles reconstituée. Cest
finalement aux grandes uvres littéraires européennes
du XIXe siècle que sintéresse Tom
Drahos en construisant à travers sept cédéroms
des univers pluriels faits de références multiples (Illuminations,
Albertine off-line, Journal de l'année de la peste,
Opium, Chateaubriand.com, Les fleurs du mal, Kafka,
France, 1999-2003). Quelques uvres investiguent la fonction darchive du cédérom pour construire des voyages interactifs à travers la mémoire. La visite panoramique despaces à 360 degrés sert de clef dentrée dans Beyond (Zoe Beloff, É.U., 1997), une création se donnant pour projet dexplorer la naissance des technologies de limage au tournant du siècle dernier à travers des images fantomatiques inscrites dans les murs dun asile abandonné. Cette uvre, qui selon Steven Tomasula était "trop théorique pour être un film et trop visuelle pour être un essai", devient sur cédérom une oeuvre de mémoire et de réflexion autour dune période historique singulièrement fascinante (1850-1940). Of Shifting shadows (Gita Hashemi, Canada, 2000) combine la fiction au document pour présenter la mémoire et lhistoire de trois femmes ayant vécu la Révolution iranienne de 1979. Plusieurs titres font un usage créatif des techniques du collage et de lappropriation. A is for Apple (David Clark, Canada, 2002) explore ainsi la cryptographie de la pomme à travers un réseau de signes venant tant de la culture populaire que de la psychanalyse. Le thème de la nourriture et des moments de socialisation autour des repas est le point de départ des uvres As American as Apple Pie et Cocktails & Appetizers (Michelle Citron, 1999, 2001). Illuminations : A Book of Letters (Barbara Sternberg, Canada, 2002) utilise lenluminure pour nous présenter à laide de lalphabet une réflexion multimédia sur la science, la religion et les arts. Traces et contrastes (Joseph Lefèvre, Canada, 1995) est une création visuelle autour d'un parcours symbolique conçu comme un plan de métro, alors que Act as a Free Person (Alain Brunet et Christophe Martin, France, 2000) propose une navigation libre à travers une imagerie éclatée. Lhumour allié au commentaire social est au rendez-vous dans plusieurs des uvres de la Vitrine, telle la performance comique de The Worst of Connanski (Loïc Connanski, France, 1998) qui fondée sur de courtes chroniques vidéo trouve dans le support multimédia un outil qui la renforce. Le rapport au corps et son image est abordé sous forme poétique dans Histoire de la femme aux grosses mains (Véronique Hubert, France, 2001) et dans une perspective féministe à travers les uvres In my Gash et Cyberflesh Girlmonster (Linda Dement, Australie, 1999, 1995) de même que Voxelations (Steven Mc Carthy, Etats-Unis, 2000). DE NOUVELLES FORMES NARRATIVES Plusieurs théoriciens préfiguraient cette structure arborescente, en réseau et tissée de liens, intersubjective, hybride, éclatée, Michel Foucault la débusquait dans Larchéologie du savoir (1969) en précisant que les frontières dun livre ne sont jamais découpées au couteau car celui-ci participe à un réseau : " [le livre] est pris dans un système de renvois à d'autres livres, d'autres textes, d'autres phrases: [il est] nud dans un réseau ". Dautres, comme Deleuze, rêvaient dun texte moins linéaire, plus près de la pensée, fait de plateaux simultanés. Barthes se souciait dintersubjectivité où lauteur et le lecteur entremêleraient leurs rôles. Sans toutefois prétendre réaliser ces projets théoriques, luvre interactive permet dexplorer concrètement certaines de ces questions. Theodor H. Nelson qui, dès les années 1960, à la suite de Vannevar Bush, jetait les bases de ce quallait être lhypertexte, le décrivait lui-même ainsi : " une écriture non-séquentielle, un texte qui souvre et permet des choix au lecteur, et mieux lu sur un écran interactif ". Il va sans dire quune telle construction change considérablement le rôle de lauteur qui devient scénariste, architecte, metteur en scène élaborant des structures qui laisseront une certaine part de liberté au lecteur. SE PERDRE, SE RETROUVER, LES PLAISIRS DE LA NAVIGATION Les allégories spatiales sont particulièrement efficaces pour favoriser cette navigation car elles associent les déplacements dans le récit à des repères géographiques ou physiques reconnaissables (parcourir une ville, un territoire, explorer une maison, se perdre dans un labyrinthe, etc.). En fait, tout type de réseau (familial, géographique, routier, etc.) peut servir à former larchitecture dune uvre et à la spatialisation du récit. Les genres littéraires servent également à sy reconnaître, utilisant des codes établis et mieux connus. Bien souvent, cest luvre elle-même qui génère son propre réseau interne avec peu ou pas de relation à des modèles existants, développant sa propre structure narrative et sa façon davancer dans le texte. Ces structures dans luvre multimédia sont le fruit dun " réarrangement des relations spatio-temporelles dans une expérience virtuelle intime " (Anna Munster, 2001). CRÉER POUR LE MULTIMÉDIA Il ne sagit plus de ne se soucier que du développement linéaire du texte mais de sa mise en scène, le plateau étant ici remplacé par lécran et lespace virtuel qui sy déploie, en prenant soin de livrer un spectacle multisensoriel où sarticuleront une grande variété déléments dans un déroulement favorisant limmersion du public dans le spectacle ou dans ce cas-ci dans luvre multimédia. Celle-ci en effet, tend à prendre une dimension spectaculaire en utilisant plusieurs des effets techniques à sa disposition (mouvements rapides, ponctuations sonores, morphing et effets optiques liés à lanimation, objets quon déplace par le mouvement de la souris, etc.) Ce style si particulier à luvre numérique interactive favorise par ailleurs la distanciation du public face au naturalisme de limage en temps réel ainsi que la participation active de celui-ci dans linterprétation du récit; recollant les fragments épars, établissant des ponts entre les sections et éléments et déchiffrant un texte souvent concis et laconique, poétique. Artiste et commissaire d'expositions en photographie actuelle, en art web et en vidéo, Élène Tremblay enseigne la photographie dans plusieurs universités québécoises. Elle a dirigé la galerie Vox, à Montréal, de 1998 à 2002.
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