|retour|

Long week-end à Dakar

Vendredi soir le 29 janvier 1999. Il est 22 h 30 à la descente de l'avion. Nous avons rendez-vous avec une Afrique fonctionnelle dont on entend peu parler mais qui sera là, à pied d'oeuvre et avec le sourire, pour réaliser en 24 jours des oeuvres de création internet.

Dimanche soir le 31 janvier. Réunion inaugurale. Au deuxième étage du Metissacana, vingt personnes souhaitent participer à l'atelier. Presque trop. Nous formerons finalement cinq équipes: trois suivront les ateliers du matin, deux le soir. La majorité des artistes provient des arts visuels, on compte un groupe de musiciens et deux écrivains déclarés.

Le Metissacana, c'est le pionnier des serveurs en Afrique de l'Ouest mais aussi un cyber-café culturel doté d'espaces de spectacles. La salle des ordinateurs est située à gauche au fond de la terrasse du premier étage. Nous y passerons l'essentiel de notre séjour. Devant les machines, avec des escales à l'extérieur pour goûter les potions locales et le bourdonnement urbain du Dakar Plateau.

Objectif : fictions

Dès la réunion du dimanche des équipes commençaient à se dessiner. Tout d'abord en fonction de l'horaire, puis de l'intérêt de chacun et de leur art. Question de complémentarité, de partage des tâches : scénarisation, écriture, photographie et transposition à l'internet d'une pratique artistique beaucoup plus près du matériau que du pixel.

Au départ, les artistes sont sceptiques. Pourtant ils souhaitent occuper cette vitrine pour diffuser leur art. Eux qui d'habitude ont le réflexe de protéger leurs images se retrouvent confrontés à un médium où on offre gratuitement les images.

Nos premières discussions aborderont l'oeuvre de création internet sous l'angle de la fiction. Des équipes prendront du temps à cerner leur projet, mais rapidement des scénarios sont nés, souvent autour d'idées abstraites qu'il a fallu articuler. Tous les projets, le contenu, l'imaginaire, le thème originent entièrement des artistes. De notre côté nous avons structuré la navigation et veillé à ce que la captation des contenus soit adéquate.

Puis nous avons laissé faire et accompagné les artistes dans leur propre cheminement. Les séances photos s'inséraient l'après-midi, entre les ateliers du Metissacana, le matin et le soir, réservés au travail à l'ordinateur : souris, internet, traitement d'images, courrier électronique, gestion de fichiers, rédaction, etc.

Objectif : photos

Pour chaque fiction, les séances photos ont constitué un moment privilégié. On assiste au dévoilement, à la matérialisation de l'image.

Les artistes ont préparé leur coup : engagement d'une modèle pour Petit Pagne ; rendez-vous avec des enfants de la rue pour Talibés ; fabrication d'une maquette et de personnages pour Lait Miraculeux ; mise en situation de sculptures pour Amika ; visite d'ateliers pour Cauris.

Beaucoup d'images et de possibilités...

À l'écran c'est fascinant, mais cette abondance devient vite problématique.

Outre les choix esthétiques se pose la question de l'interface: l'outil, l'ordinateur lui-même.

Parmi les artistes avec qui nous travaillons figure une majorité de novices... en matière de technologie.

Il faut plus que des «freeware» !

À Dakar on fonctionne au cas pour cas. Quand il y a un problème il faut trouver une solution.

Nul doute que le Sénégal s'informatise, mais les machines sont rares, il en manque aussi dans les universités, il manque de logiciels et il manque de gens qui savent les utiliser. Pourtant, les cyber-cafés sont pleins et la ville compte un grand nombre de commerces offrant des services de secrétariat (traitement de textes, télécopie, internet). Au Metissacana, ouvert 24 heures sur 24, ça fourmille de monde et ça pitonne : internet, courriel, jeux et chat.

Le Metissacana n'est pas un centre d'infographie. Il est donc normal qu'on n'y trouve pas de logiciels professionnels de graphisme, de traitement d'images ou de mise en page. Pourtant, ces outils sont des incontournables de la mise en ligne et il serait souhaitable qu'on les retrouve installés en permanence au Metissacana.

À Dakar, nous avons installé puis désinstallé nos propres logiciels. Maintenant que les projets web sont en ligne, que reste-t-il des ateliers ? Une meilleure connaissance de l'internet, certainement, mais aucun outil. Or il faut plus que des «freeware» pour fonctionner efficacement et il serait intéressant que les compagnies de logiciels se pointent le bout du nez pour établir des partenariats locaux.

De notre côté, nous aurions pu disposer d'une trousse de logiciels performants que nous aurions laissée là-bas, un kit offert en promotion pour que la minorité technophile d'Afrique contribue davantage au marathon de l'internet. Car la demande est là.

Objectif : réalisation

La fascination est de courte durée, il faut trancher, choisir, exécuter. Pour concentrer le travail, nous commençons à recevoir les équipes une par une, séparément, et nous nous divisons le travail : scénarisation et rédaction, traitement d'images et mise en page html. Dès ce moment, nous, les trois membres de l'équipe d'ISEA, nous avons repris le contrôle des instruments. Et de la réalisation finale...

L'idéal eut été que les artistes réalisent eux-mêmes l'ensemble des projets, mais nous avons fait le deuil de cet objectif-là. Il appartient à chacun maintenant de tisser sa propre toile et de poursuivre son apprentissage. Même si leurs moyens sont limités, tôt ou tard plusieurs parmi eux vont indéniablement intégrer le numérique dans leur travail d'artiste, de photographe, de musicien...

Il fallait plus qu'un long week-end à Dakar...

Il y a beaucoup de nous dans chacun des projets. Nous les avons finalisés après notre séjour à Dakar, mais toutes les décisions esthétiques ont été prises en présence des artistes. De part et d'autre nous souhaitions que le message passe et que l'intégrité des oeuvres soit respectée.

Nous étions leurs complices. Nous avons servi leur culture, leur art, leurs ambitions. Avec eux nous avons magnifiquement goûté à Dakar.

— Ça va ? — Ça va.

 

Michel Lefebvre

Écrivain et réalisateur multimédia
ANIMATEUR DAKAR WEB

 

| retour |